Témoignage d’Abel

Psychologue chez Thermos depuis le début de la saison 2024-2025, j’accompagne les bénéficiaires chaque mercredi à l’accueil de jour. Cet espace d’échange me permet de créer des liens avec eux.  J'ai eu la chance de recueillir un témoignage très touchant d'un de nos bénéficiaires que je rencontre régulièrement  chez Thermos, et j'aimerais vous le partager.

Bonjour, je m’appelle Abel, ou Abed si vous préférez. J’ai 64 ans. Je suis en Belgique depuis maintenant cinq ans, et depuis trois ou quatre mois, je me retrouve à la rue. Je passe mes journées entre abris de jour et abris de nuit. C’est ça, ma vie quotidienne présentement. Je suis un peu à bout. D’ailleurs, à un moment donné, j’ai failli craquer.

Dans mon pays, j’avais tâté un peu la politique, et cela m’a valu une rafle devant chez moi, vers minuit. J’étais en train de faire du thé, quand ils sont venus me chercher. Ils m’ont emmené en taule me soupçonnant d'être un subversif. Dans mon métier de journaliste, j’ai eu des démêlés avec la Gestapo : une Police politique. Pour un rien, elle s'adonne à son jeu favori : torturer les gens innocents. Ce qui m’a poussé à quitter le pays, après la sortie d'un livre sur l’Islam. Ils pensaient probablement « Celui-là, on ne doit pas le laisser prospérer ». Un jour, ils ont envoyé quelqu’un des services de renseignement, pour m'attendre à la sortie de l'émission. Il a pu accéder aux studios, malgré le fait que ceux-ci soient gardés par des gendarmes. C’est là que j’ai compris qu’il avait été envoyé par les services de l’État.  Par conséquent, mon livre dérangeait un lobby…

Ce qui m’a amené ici, je ne peux pas l’expliquer clairement. Au départ, j’ai été hébergé par un jeune homme qui m’a invité ici pour l’aider à écrire un livre. J’ai tout fait pour qu’il puisse sortir cet ouvrage. Puis, un jour, ça a dégénéré : il a commencé à me traiter de tous les noms. J’ai essayé d'encaisser et de rester un peu plus longtemps. Mais un matin, il m’a dit : « Je n’ai plus confiance en toi, tu dois partir. ». C’est ainsi que tout a commencé, le 3 janvier, en plein hiver. Aujourd’hui, je me retrouve dans cette situation. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver à la rue. Je suis journaliste et écrivain, avant, je ne faisais que raconter ces choses-là, mais je n’aurais jamais cru que cela m’arriverait. Parfois, pour me consoler un peu, je me dis que cela n’arrive pas qu’aux autres. Et me voilà tombé dans ce piège du jour au lendemain.

Je suis journaliste et écrivain, avant, je ne faisais que raconter ces choses-là, mais je n’aurais jamais cru que cela m’arriverait.

Je suis dans une situation tellement chaotique et déstabilisante que c’est comme si j’étais atteint d’Alzheimer. Le fil de cette journée où je me suis retrouvé dehors m’échappe ; je n’arrive plus à me souvenir de comment cela s’est passé. C’est l’aide juridique de Point d’Appui qui m’a orienté vers Saint Laurent, où il y a un abri de nuit. Le soir, je me suis retrouvé devant l’abri de nuit et j’ai demandé de l’aide, car je ne savais pas où aller. Arrivé là-bas, on m’a dit qu’on pourrait peut-être me donner une place pour la nuit.  A 20h00, je me suis retrouvé parmi un attroupement de personnes. Je me suis dit qu’il fallait être fort, ne pas fléchir, et accepter la situation telle qu’elle est. Les éducateurs ont pris mon nom et m’ont appelé pour passer la nuit. Et c’est ainsi que tout a démarré. J’y ai passé sept nuits.

Une fois que l’on traverse cette étape de vie, on se sent diminué et on perd sa dignité. On ne se sent plus humain, mais plutôt un sous-homme. Ce que j’incarnais, je crois l'avoir perdu…peut être pour de bon ? Je n’aurais pas cru que des gens vivaient cela, et que moi aussi, j’allais le vivre. Pendant la période de grand froid, nous avons été contraints de passer des nuits dans un gymnase. Nous étions là-bas, dans des lits de camp. Puis, il y a eu la grève des bus. Ce qui venait en rajouter au calvaire, car le malheur n'arrive jamais seul. Parfois, il fallait marcher plusieurs kilomètres pour rejoindre les différentes structures.

Un soir, j’ai voulu être trop gourmand, j’avais faim. Je suis allé au restaurant social pour manger, mais en revenant, je suis arrivé en retard. On avait pris ma place et j’ai failli fondre en larmes. Ce jour-là, il faisait très froid. J’ai tourné en rond toute la soirée à la belle étoile. Le matin, j’ai trouvé un abri pour prendre le petit déjeuner. Le lendemain, vu qu’il n’y avait toujours pas de place à l’abri de nuit, j’ai rencontré un jeune qui m’a indiqué un endroit où dormir avec des cartons. C’est là que j’ai dû passer ma seconde nuit.

Je ne suis pas fait pour cela. C’est par hasard que je suis tombé dans cette situation comme dans un guet-apens... Peut-être que c’est le destin, que j’étais censé passer par là. Mais je ne baisserai pas les bras. Si cela dure, je risque de m’enfoncer encore plus, et de ne pas m’en sortir.. D’ailleurs, j’ai des projets. Le premier, c’est de trouver un logement ou un hébergement : je veux juste vivre décemment ! J’ai également élaboré un document sur la migration que j’aimerais publier pour édifier le monde. J’ai l’intention de réaliser tous mes projets de livres. Et quand il me restera peut-être dix ans à vivre, je terminerai par ce dernier livre qui m’a contraint à quitter le pays. Ceux qui voudront me voir viendront me voir là-bas, mais j’aurais accompli ma mission.

D’ailleurs, j’ai des projets. Le premier, c’est de trouver un logement ou un hébergement : je veux juste vivre décemment.

Témoignage recueilli par Justine

Précédent
Précédent

ProForma x Thermos

Suivant
Suivant

Crise du Logement